J'avais initialement prévu une entrée en matière, mais je suis tombé sur un excellent article sur le blog l'Alain Grandjean qui explique de manière bien plus claire ce que j'aurais tenté d'écrire dans cette partie. Donc allez le lire avant de revenir ici pour aborder quelques points particuliers que j'aimerais souligner.
La question qui en ressort est : quand l'humanité double la portion de la terre qu'elle a rendue impropre à sa survie tous les 20 ans, combien de temps pensez-vous que nous avons quand il nous reste la moitié de la capacité initiale de charge de la terre ?
Ensuite, il y a trois points que je souhaiterais éclairer.
Le premier point à souligner est que l'exponentielle, bien que phénomène rarement observé dans notre quotidien n'en est pas moins une fonction qui apparaît souvent comme solution de nombreux problèmes de physique quotidienne lorsque l'on recherche une solution dans un domaine temporaire ou local. Outre le cas artificiel des intérêts composés, l'exponentielle est la solution à des problèmes évolutifs où à un moment apparaît une équivalence entre une valeur et la variation de cette même valeur.
Par exemple, le départ d'une avalanche peut se décrire comme ceci : un petit morceau se détache et commence à dévaler la pente ; ce faisant, il arrache d'autres morceaux du manteau neigeux qui viennent s'ajouter à la masse en déplacement, provoquant le détachement d'un plus grand nombre de morceaux. Les phénomènes d'avalanche en général sont des phénomènes exponentiels dans leurs premiers instants. Un autre exemple concerne la modélisation d'effets de diffusion, par exemple de chaleur, où à partir d'un point unique de forte chaleur sur un objet, la courbe de température dans les différentes directions prendra la forme d'une exponentielle qui évolue au cours du temps. En effet, les variations de température sont d'autant plus importantes que les différences de températures sont grandes. Enfin en électronique, l'exponentielle est omniprésente dans les phénomènes capacitifs et inductifs, où l'évolution des tensions et courants est dépendante des valeurs de ces derniers.
En résumé, même si la plupart des exemples fournis ne sont pas simplement observables, des comportements exponentiels sont à l'œuvre tout autour de nous.
Le second point concerne une partie moins souvent mise en avant dans la description de l'exponentielle. Pour revenir sur la première partie, la majorité des solutions aux problèmes de physique donnent des résultats bornés, qui ne divergent pas vers l'infini comme peuvent le faire les intérêts composés. Cela est principalement dû au fait que la partie de la courbe de l'exponentielle qui est utilisée est celle qui part dans les négatifs. Cette partie de la courbe décrit très bien les phénomènes où la grandeur va se rapprocher peu à peu de sa valeur cible. Par exemple si on modélise simplement un système de recyclage où une portion constante du matériau utilisé va être perdue, on obtient une quantité de matériau variant selon une exponentielle décroissante tendant rapidement vers zéro.
Bizarrement, en physique, on écarte très souvent comme telles les solutions où la croissance de l'exponentielle est positive et diverge, par bon sens, alors qu'on ne se pose pas ce genre de limitation dans en économie. Cherchez l'erreur !
Il y a quand même des cas où la partie divergente de l'exponentielle est utilisée et cette caractéristique est souvent simplifiée parce que ce comportement n'a plus besoin d'être décrit précisément à partir d'un certain seuil de valeurs en entrée. Pour éclaircir l'explication, je vais prendre pour exemple celui d'un composant électronique dont certains ont dû apprendre le comportement : la diode. Au niveau schéma électronique, une diode est souvent modélisée comme un composant orienté à deux pôles (deux bornes). Son comportement peut simplement être décrit comme suit :
Bref, idéalement, si en plus, on fait abstraction du seuil, c'est un composant qui ne passe pas dans un sens et qui se comporte comme un fil (avec une petite chute de tension constante) dans l'autre sens.
En termes graphiques, on aurait donc
Ce modèle suffit largement pour 90 % des applications où un effet de basculement est recherché.
Ce qu'il y a d'étonnant cependant, c'est que le modèle réaliste de la relation entre tension et courant d'une diode est en fait… basé sur une exponentielle ! La seule modification est un recalage vertical de la caractéristique pour que le courant soit nul quand la tension vaut zéro. Sinon, c'est aussi bien décrit purement par cette exponentielle, en utilisant, une fois n'est pas coutume, la partie divergente. Quels éléments de généralisation peut-on tirer de cet exemple ? J'en vois deux :
C'est toujours avec ces différents repères en tête que je vois la difficulté à expliquer et partager mes conclusions tirées des différentes nouvelles alarmantes qui arrivent ces derniers temps.
]]>Donc, sur un prêt judicieux de l'ami Nicolas, j'ai lu le dernier livre de Philippe Bihouix, un livre en forme de « rêveries d'un ingénieur solitaire » comme il le sous-titre.
Ces rêveries ont plutôt l'air de réfléxions tout à fait éveillées qui ont lieu au détour de balades et abordent les sujets tels que les limites à la croissance, la crise écologique et le devenir de l'humanité. Ce sont donc des monologues relatant à la fois des faits connus, quelques calculs simples de tête, des impostures démasquées et des réflexions plus politiques ou philosophiques.
Un petit livre qui se lit sans avoir besoin de dégainer un tableur ou un outil de data mining, m'a permis au final d'étayer de nombreuses réflexions personnelles. Il donnera à un boétien les éléments de connaissance pour prendre pied dans les problématiques environnementales sans virer dans la dépression.
Un livre que je mettrais volontiers sans remords dans les mains de mon entourage, à la différences d'autres ouvrages plus ardus ou démoralisants.
]]>Pour suivre les réflexions engagées à la lecture de « Le mensonge de la finance », je partirai du constat que l'argent qui irrigue la finance est de fait un levier de modification du monde extrêmement puissant. Dans cette veine, pour essayer d'exprimer la relation entre les flux d'argent et la capacité à changer le monde, une simple relation tirée de la physique nous dirait simplement que la puissance économique étant une puissance au sens physique, elle s'exprimerait comme un multiple du carré des flux d'argent. Cette relation, certes tirée par les cheveux (pas du tout appuyée par des nombres), donnerait cependant, si elle s'avérait correcte, une indication précieuse sur les effets de levier de l'argent. Dans cette relation, un doublement de l'argent disponible provoquerait une multiplication par 4 de la puissance économique correspondante. Or, cette puissance économique, synonyme d'accès à l'énergie, permet de faire face dans la compétition imposée par la mondialisation. Et cette compétition vient en opposition directe de tous les efforts de transition écologique que pourrait vouloir entreprendre un pays.
Parce qu'est-ce qu'engager une transition écologique signifie ? Cela signifie à la base, restreindre sa propre consommation d'énergie. Soyons lucides, on ne va pas remplacer les 90 % d'énergies fossiles que nous utilisons par du décarboné, encore moins du renouvelable. Donc, par équivalence, cela revient à limiter la puissance énergétique et monétaire disponible. Bien que les scientifiques nous alertent depuis un certain temps déjà que c'est un passage obligé si nous voulons rester dans des conditions de vie supportables, je pense que ça sera pas le cas parce que cet équilibre est un équilibre de Nash de type dilemme du prisonnier.
Un équilibre de Nash est un équilibre particulier où le bénéfice cumulé de tous les acteurs est supérieur si tous jouent ensemble, mais où individuellement, chaque acteur a intérêt à jouer personnel. Par exemple, imaginons un monde à deux pays, et que si les deux pays annulaient leurs émissions de gaz à effet de serre, les malus encourus par chaque pays ne se montent qu'à -20 (l'unité importe peu). Supposons aussi que si un pays ne joue pas le jeu et l'autre si, le premier limite ses pertes à -10, tandis que l'autre plonge à -40. Cela pourrait s'expliquer par la capacité accrue à construire des infrastructures de déplacement, de communication, de santé permettant une plus grande résilience face au changement climatique pour le premier, mais cela se fait bien sur aux dépens du second pays qui paie doublement par sa non utilisation des énergies fossiles face aux bouleversements provoqués par la dépense énergétique du premier. Enfin, si aucun des deux ne joue le jeu (le « business as usual » donc), les deux pays encourent une perte de -30. Ici, c'est le fait que le système devient instable et que même des préparations résilientes n'y feront rien.
Alors, en cumulé, nous avons -40 dans le cas où tout le monde est conciliant, -50 si un joue le jeu et l'autre non, et -60 si tous jouent individuellement. On voit clairement le bénéfice global de jouer le jeu. Pourtant, à part dans la position la plus défavorable globalement, si un des joueurs analyse sa position sans pouvoir s'assurer des intentions de son partenaire, il a intérêt à ne pas jouer le jeu. Si c'est à partir de la position où tout le monde joue le jeu, ses pertes passent de -20 à -10. Si c'est en venant du cas où il était le seul à jouer encore le jeu, ses pertes se réduisent de -40 à -30.
Notez bien que dans l'exemple que je viens de prendre, la puissance de l'argent n'entre pas en ligne de compte, tout du moins visiblement. En fait, dans mon idée, elle est l'explication sous-jacente à cette forme de jeu (en exacerbant les différences de capacité de préparation au changement climatique avec cette variation quadratique). Pour les pays dits développés, ne pas continuer à utiliser autant d'énergie, c'est s'exposer à une chute abrupte de style de vie, apparemment incompatible avec nos démocraties. Pour les pays en voie de développement, cette énergie signifie une amélioration notable des conditions de vie des populations.
Dans tous les cas, il semble qu'à moins qu'une grande crise remette en perspective les objectifs de l'humanité en général (et cette crise risque de toutes façons de nous arriver tôt ou tard), il y a peu de raisons que les règles du jeu économique soient bouleversées volontairement.
]]>Dans certaines régions du monde comme la plupart des pays en développement, le fatalisme reste pourtant très vivant (on connaît les « Si Dieu veut » ou les « c'est comme ça »). Ce n'est donc pas une généralité de notre époque, mais plus une spécificité de la société occidentale. À titre individuel, s'inscrire contre la fatalité revient en somme à s'affirmer comme un « self-made man », notion très masculine, qui renvoie à la valeur travail : le fatalisme serait une excuse de fainéant pour ne pas prendre en main sa vie.
Mais en y regardant de plus près, l'injonction « il n'y a pas de fatalité », qui signifie en substance que si le projet n'a pas réussi, c'est qu'on ne s'y est pas assez impliqué, en dépit des faits qui montrent 80 % d'échec de projets dans la silicon valley par exemple, renvoie surtout à un projet idéal qui ne souffre d'aucune autre limitation due aux capacités réelles du monde qui nous entoure, que nos seules limitations internes (organisation, volonté). Par extension, cela signifie que nous considérons que notre monde peut se permettre 4 echecs sur 5 projets !
Le mythe technologique surfe à plein sur cette idéologie. Elon Musk en est un exemple particulièrement éloquent : aller sur Mars ou passer au tout électrique ? Pourquoi pas ! Il « suffit » de mettre bout à bout tous les éléments nécessaires et qui bien sûr ne manquent pas. L'énergie ou les ressources en matière première nécessaires à ce type de projet sont largement sous-estimés dans l'évaluation de la faisabilité. Dans ce domaine, le fatalisme est une idée très désagréable car il vient en contradiction du désir de toute-puissance divine qu'on a pu toucher du doigt pendant ces dernières décennie d'opulence énergétique.
Cependant, on commence à voir depuis peu reparaître une notion de fatalisme dans les discours politiques sur les problèmes de chomage, d'absence de croissance qui perdurent avec comme idée forte de lutter contre ces penchants défaitistes. Je pense que c'est un signe avant-coureur du basculement de société dont nous allons être témoin avec la raréfaction des ressources ou le choix volontaire de ne pas les consommer.
Le retour à la sobriété énergétique va d'une certaine manière ramener le fatalisme sur le devant de la scène : soit par le fait que l'évaluation du besoin d'énergie des projets ou que le décompte de l'énergie déjà investie aboutiront à une impossibilité pure et simple, soit que les arbitrages sur la distributition des ressources qu'on s'accordera mettra un projet hors jeu (trop grand risque d'échec, gains évalués pas assez importants).
À la différence du passé où le fatalisme venait de l'indisponibilité de l'énergie nécessaire à un projet, le nouveau fatalisme viendra du choix assumé après analyse de ne pas démarrer ou poursuivre un projet.
]]>Le film s'en sort très bien pour ne pas tomber dans le documentaire, avec par exemple des explications délivrées par un mannequin dans un bain de mousse (ça retient l'attention) ou de nombreux effacements du quatrième mur.
Le roman est de fait plus technique et rentre dans le dur des chiffres, mais toujours avec une approche très subjective des évènements, ce qui rend la pilule plus facile à avaler. Mais on y gagne aussi une meilleure compréhension des différents produits financiers en jeu dans ce drame, ainsi qu'un explication plus en profondeur des subprimes et surtout de leur évolution entre le début des années 2000 et la crise. L'avalanche des chiffres (en dollars) donne parfois le tournis et les détails (sur les agences de notation par exemple) viennent combler quelques questions restées en suspens dans le film.
Je conseille de voir le film et, si cela vous intéresse un peu plus, de vous plonger dans le livre.
La lecture du Big Short m'a amené à la réflexion sur l'éducation comme moyen de faire accepter certains précepts comme valeur commune. La description relatée de la crise des subprimes montre aussi ce petit côté aveuglement volontaire de toute une classe économique favorisée par un système de communication en vase clos (agences de notation, chaînes de télévision) dont le prisme filtre et déforme presque inconsciemment les informations extérieures à ce microcosme. Comme le dit un des protagonistes, il est presque certain que la majorité de financiers qui ont concouru à cette crise l'ont fait en toute bonne foi (et en touchant un bon pactole, ce qui aide).
La sphère financière a eu aussi la puissance d'imposer à la partie la moins éduquée de la population américaine une certaine idée de la possibilité de vivre à crédit. Après tout, si une personne avec un costume à 3000 dollars vous dit que ce qu'il vous propose vous amènera sur le chemin de la réussite, comment ne pas le croire ?
Cette histoire a aussi provoqué une rêverie éveillée. Les protagonistes de l'histoire ont utilisé le système pour parier contre lui. Et si on essayait d'appliquer cette stratégie pour l'écologie ? Comment parier contre le système pour parvenir à réaliser une transition écologique ? Peut-on faire un big short en faveur de l'environnement ?
La transposition d'un big short sur l'environnement consisterait à créer un contrat qui semble imperdable et incassalbe pour les climatosceptiques de toute nature, mais qui s'avère en fin de compte perdu d'avance. Idée à méditer, avec un bémol cependant : le short ne fonctionne que si la crise a effectivement lieu, ce qui est loin d'être désirable.
]]>